Nature et la Grâce

Nature et la Grâce
Nature et la Grâce
    On voit ainsi le principe de tout l’occamisme. L’aristotélisme chrétien reposait sur l’idée d’une certaine fixité dans les formes des êtres, qui ont chacun une nature qui leur assigne une place dans la hiérarchie. C’est cette idée de nature que le nominalisme fait disparaître : il n’y a nulle chose dans l’univers qui n’ait pu être autre qu’elle n’est ; nul effet auquel sa cause ait pour ainsi dire droit par nature. En particulier, comme il n’y a plus aucun concept fixe, il n’y a plus moyen de créer aucun lien rationnel et systématique entre les vérités qui nous sont révélées par Dieu : comme saint Anselme l’avait vu, la négation du réalisme enlève toute possibilité à la foi de « rechercher l’intelligence. »
    Il faudrait se garder de faire de l’œuvre d’Occam une œuvre purement négative ; elle contient beaucoup d’éléments positifs, dont la critique n’est que l’envers. Sans que sa pensée aboutisse à un système, elle a pourtant une tendance unique et permanente, c’est d’introduire une notion qui ne rentre point dans les cadres connus de l’infinité du créateur et de la finité de la créature, celle du progrès à l’infini. En logique, au concept il substitue le symbole, qui ne s’arrête à aucune réalité définie, mais qui peut être pris arbitrairement ; en philosophie, il se refuse à réaliser quelque centre de référence fixe, que ce soit lieu naturel, ou être suprême, ayant comme l’intuition que ce qui est à rechercher dans toute réalité est moins son point d’aboutissement que son progrès. Cette nécessité d’une structure naturelle, qu’il supprime dans sa vision de l’univers, il la rejette aussi dans sa conception des rapports de l’homme avec Dieu. A Pierre d’Auriole selon qui « une forme créée plaît au créateur par sa nature, avec une nécessité telle qu’elle emporte, pour l’âme ainsi informée, l’acceptation divine », il oppose que ce serait faire dépendre la complaisance de Dieu envers la créature de la nature de cette créature, ce qui introduit en Dieu une nécessité ; et si l’âme acquiert la vertu surnaturelle de la charité, elle n’en devient pas plus aimable par elle-même ; « elle n’est pas acceptée par Dieu, en raison de ce qu’elle est, sinon au sens où Dieu accepte toute les créatures ; si elle est acceptée spécialement par lui, c’est en vertu de la bienveillance et d’un décret divin ». C’est la tradition qui, de fait, nous enseigne que la justification requiert la charité ; la charité est la condition de l’acte d’amour de Dieu, et cet acte seul est méritoire ; mais rien n’empêchait Dieu d’instituer telle autre condition qu’il voulait ; son acceptation est absolument libre. Il est antipélagien, parce que Pelage liait la justification à des actions dont l’homme est naturellement capable, alors que Dieu aurait pu se passer entièrement de toute cause seconde. Il n’y a aucun moyen de rendre intelligible l’économie de la grâce, pas plus que celle de la nature ; l’acceptation de Dieu, comme l’a dit un interprète d’Occam, est « au suprême degré un acte gratuit », dont on ne doit même pas chercher un motif, tel que serait le désir de se communiquer.

Philosophie du Moyen Age. . 1949.

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